53.
Début janvier, Will dut se rendre à Los Angeles pour tourner quelques bouts d’essai et, à cette occasion, je m’aperçus qu’il me manquait plus que je ne voulais le reconnaître ou plus que je ne m’y attendais. À certains moments, je redoutais d’avoir affaire à un sorcier, un prestidigitateur ou un séducteur professionnel. Barry, lui, en était persuadé, mais je lui rétorquais que Will ne se comportait pas de cette manière avec moi, et je ne mentais pas.
Will rentra un jeudi et m’emmena dîner à Bedford.
J’avais mis des chaussures à talons hauts et une robe noire brodée de perles, ce qui me paraissait un peu voyant.
— Tu me plais beaucoup, comme ça, commença-t-il par me dire.
Ce n’était pas grand-chose, mais cela faisait plaisir à entendre. J’étais ravie de retrouver un Will volubile et de fort bonne humeur.
— J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle, poursuivi-til. La bonne, c’est que je passe bien à l’image. La mauvaise, c’est que je joue comme un pied.
On éclata de rire tous les deux. Il ne cessait de parler.
L’accueil qu’on lui avait réservé à Hollywood semblait l’avoir réellement stupéfié et je me surprenais à être heureuse pour lui. Ce fut un dîner très joyeux. En présence de Will, je me sentais maintenant parfaitement détendue. De temps à autre, je voyais un doigt se pointer vers nous, mais les gens avaient suffisamment de savoir-vivre pour ne pas venir nous importuner. Peut-être s’imaginaient-ils que nous étions amoureux ?
Il neigeait quand nous quittâmes le restaurant. Sous le fouet du vent, les arbres ployaient comme des danseuses de cabaret et nous courûmes jusqu’à la voiture, les yeux mitraillés de flocons. À ce moment-là, je ne pus m’empêcher de m’accrocher à lui.
Will roula prudemment sur le chemin du retour et me raccompagna à ma porte. J’avais tellement envie qu’il me tienne dans ses bras. Il portait une eau de toilette discrète et très agréable. Je le trouvais superbe dans son blouson. Il avait les joues bien rouges et, lorsqu’il souriait, c’était vraiment quelque chose.
— Bonne nuit, me dit-il. Merci d’avoir bien voulu dîner avec moi. J’espère que je ne t’ai pas trop ennuyée avec mes projets de carrière.
Je ne voulais pas qu’il s’en aille. « Sorcier. »
— Attends. Tu as vu le temps ? Tu ne vas pas repartir en pleine tempête de neige.
« Il y a déjà eu trop d’accidents dans ma vie. »
Son regard brillait d’une lueur étrange, très douce, et je distinguais la même tendresse dans son sourire.
— Ce n’est pas très loin ; ça devrait aller, Maggie.
— Fais-moi plaisir. Entre. Juste quelques minutes.
Il hocha la tête et me suivit à l’intérieur, mais il ne semblait pas avoir envie de rester.
Il avait un coup de fil à donner. Il devait prévenir les Lawrence, qui l’avaient invité à passer prendre un verre.
Quand il en eut terminé, on s’installa dans le salon. Je m’étais déjà assurée que Jennie et Allie dormaient bien. Seul un coup de canon aurait pu les tirer du sommeil et d’ailleurs, il m’en faudrait un le lendemain matin pour obliger Jennie à se lever et à se préparer.
« Je suis célibataire, me disais-je, j’ai trente-huit ans. Je maîtrise la situation et je suis assez grande pour me débrouiller toute seule. Je ne fais rien de mal. J’aime beaucoup l’homme avec qui je suis. Il n’y a pas de doute, il m’a ensorcelée ! »
On regardait la neige tomber. J’avouai à Will :
— Jamais je ne nous aurais imaginés ensemble, côte à côte, en train de regarder la neige.
— Pour être franc, moi non plus. Je ne pensais pas que tu me laisserais te prouver que j’ai fini par me calmer, que je suis devenu adulte, que j’étais capable de m’améliorer. Comment me juges-tu, maintenant ? Il y a du mieux ?
— Tu es parfait comme ça. N’en rajoute pas.
On se mit à rire, je posai ma tête contre son épaule.
J’étais bien. J’aimais sentir son dos et les muscles de ses épaules. J’étais la première surprise de me retrouver avec Will, mais j’éprouvais un réel bien-être. J’en arrivais même à reconnaître qu’il était beau comme un dieu. J’adorais son odeur fraîche et propre, son épaisse crinière. J’aurais aimé savoir ce qu’il aimait chez moi.
Puis il tourna la tête et m’embrassa en chuchotant :
— Adulte, mais pas trop.
Son baiser me fit presque tourner la tête.
C’est moi qui l’ai voulu. Je saisis Will par la main et je le conduisis jusqu’à la chambre d’ami, près de la piscine. Je sentais ses doigts s’enrouler autour des miens. Dans la journée, j’avais pris la précaution d’aérer la pièce, de changer les draps et les serviettes. Juste au cas où.
Sans doute en avais-je envie. Non, j’en avais envie, point.
Et je ne fus pas déçue.
Coupe sur un train qui s’enfonce dans un très pittoresque tunnel de montagne.
Encore et encore et encore.